Pour reprendre la comparaison avec les modèles allemands et anglais, il existe une première hybridation du régime français qui, partant d’un système éclaté de caisses distinctes, a évolué vers un régime généralisé (à défaut d’être universel) et dont le pilotage échappa progressivement aux représentants des assurés pour revenir à l’État.
Cette hybridation ne s’est pas traduite par la fonctionnarisation des professionnels de santé ni l’étatisation des organismes comme au Royaume-Uni. Mais le pilotage des institutions en devint moins lisible et le mille-feuille institutionnel survécut alors même que la CNAMTS devint, de jure, le vrai pilote de l’assurance-maladie française.
Sur le plan budgétaire, le financement du régime général est devenu lui-même mixte s’accroissant de recettes fiscales aux côtés des cotisations sociales supposées être la marque des régimes bismarckiens.
Une hybridation commune à l’ensemble des systèmes
Une telle mixité est-elle en soi condamnable ? Sans doute pas. Primo, aucune des logiques bismarckienne ou beveridgienne n’est intrinsèquement supérieure à l’autre. Secundo, cette hybridation est un constat commun à toute l’Europe et il n’y a pas de spécificité française en la matière.
Est-il pour autant certain que la France ait réussi à prendre le meilleur des deux ? Rien n’est moins sûr car cette hybridation apparaît souvent comme le fruit d’une lutte pour le pouvoir plus que la recherche collective d’une meilleure efficacité, fût-elle brandie pour justifier les réformes. Il en ressort que le système français donne trop souvent l’image d’un système grippé, n’ayant pas dépassé quelques questions fondamentales comme la relation avec les médecins ou réussi à mettre en place des outils efficaces pour la maîtrise des dépenses de santé.
La chute du paritarisme de gestion et l’uniformisation des régimes
Mais la lutte ne fut donc pas seulement institutionnelle, la question du financement de la sécurité sociale constitua un aussi terrain d’expression privilégié. Passant du « tout cotisation » à une fiscalisation accrue, elle illustra la perte de pouvoir des syndicats dans la conception du système et l’avènement de la démocratie politique au détriment de la démocratie sociale.
Enfin, paradoxalement, l’objectif de généralisation de Laroque fut repris par la volonté uniformisatrice de l’État : il est remarquable de voir combien la volonté d’extension des garanties de la sécurité sociale fut un cheminement de plusieurs décennies qui revint sur toutes les reculades initiales. Seule la rationalisation budgétaire fissura l’édifice à force de « responsabilisation » des assurés suspectés d’abuser du système…
Aujourd’hui, les partisans d’une sécurité sociale étendue à tous et avec un niveau de prise en charge le plus large possible concluent logiquement le cycle en soutenant le tiers-payant généralisé (dont la mise en œuvre ne fait toujours pas consensus) et en remettant en cause l’intervention de l’assurance complémentaire, autre spécificité française dont l’étude fera l’objet de la dernière partie.