Impacts et cadre économiques des complémentaires

Comparativement aux autres pays développés, la France laisse peu à la charge des assurés et donne en même temps une place remarquable aux assureurs privés (mutuelle, sociétés d’assurance, institutions de prévoyance). Le « Panorama de la santé 2017 » de l’OCDE illustre cette particularité (Figure 4) : la France est le seul pays en dessous du seuil de 10% pour les dépenses à la charge des ménages (vs 20 % en moyenne) mais 3e pour ce qui est du poids des assureurs privés avec 14 % (vs. moyenne OCDE à 6 %).

Figure 4 – Dépenses de santé par type de financement, 2015 (ou année la plus proche)

L’étatisation de l’assurance-maladie obligatoire (AMO) mentionnée dans les développements sur l’hybridation de la « Sécu » s’est donc paradoxalement accompagnée du développement des assureurs maladie complémentaires (AMC) qui occupent une place considérable en France par rapport aux autres États membres de l’OCDE.

Pour autant, du point de vue structurel, les assureurs français intervienne quasi-exclusivement en complément de l’AMO dès que le régime de base ne couvre pas 100 % de la dépense ce qui confère un aspect « mécanique » à leur intervention.

En valeur, les AMC remboursent tout ou partie du ticket modérateur et des dépassements. Autant dire qu’ils agissent comme une « sécurité sociale bis » avec un niveau d’intervention structurellement élevé.

Les AMC français interviennent aussi en supplément de l’AMO sur des actes non pris en charge (= hors panier de soins de base), comme les implants dentaires, la chirurgie de la myopie, certains soins alternatifs à l’allopathie (ostéopathie, acupuncture…) ou encore les frais de chambre particulière à l’hôpital. Mais cette part de leur activité demeure modeste.

Le profil des assureurs santé français est ainsi très différent de ce qui se fait ailleurs dans le monde où l’intervention d’une assurance complémentaire reste rare. Ordinairement, ce type d’assurance intervient selon trois modalités1 :

  • supplémentaire : biens et soins médicaux non pris en charge par le régime de base – e.g. au Canada, les médicaments et soins dentaires ne sont pas pris en charge par le système de base sur l’ensemble du territoire,
  • duplicative : prise en charge intégrale des soins en parallèle du système de base qui n’est alors pas sollicité – e.g. au Royaume-Uni où les citoyens fortunés peuvent faire appel à leur assurance privée pour accéder, en dehors du NHS, à des soins intégralement pris en charge par l’assureur,
  • substitutive : l’assureur intervient sur tous les soins mais pour une fraction de la population que sa situation place hors du système de base – e.g. les Allemands dont les revenus excèdent 56250 € (valeur 2016, 2) qui peuvent s’affilier à une caisse privée qui interviendra alors pour tous les soins prévus par le régime de base obligatoire.

La structure du marché, son poids, son fonctionnement et ses distorsions par rapport au modèle classique de l’assurance soulignent combien l’assureur santé français est un OVNI assurantiel. Si elle est sans doute culturellement adaptée, cette pratique très franco-française de l’assurance santé ne satisfait personne. C’est bien là le point commun aux promoteurs et aux détracteurs de l’assurance privée : l’optimum de l’utilité d’un assureur est loin d’être atteint pour les premiers alors que les seconds soulignent que la logique économique consubstantielle à l’assureur ne peut qu’accroître les inégalités d’un système déjà bien imparfait. L’étude qui suit constate finalement l’échec de cette spécificité française..

Le marché de l’AMC sera étudié dans les articles de ce menu en comparant la structure du marché et le poids économique de chacun des financeurs – AMO, complémentaires et ménages – , avant d’exposer les conditions théoriques d’équilibre économique de l’assurance privée et les contraintes financières de cette activité puis analyser les effets de l’intervention des assureurs complémentaires sur l’accès et les prix des soins et le coût du système.

Nbp

  1. La classification retenue est celle exposée dans l’étude comparative de l’OCDE« Private Health Insurance in OECD Countries », The OECD HealthProject, 2004, Paris, OECD Publishing et reprise dans « Les assurances maladies » de P.-L. Bras et D. Tabuteau, 2012, Paris, PUF, p. 53 sq. Cette classification définit donc les assurances santé dans leur interaction avec le régime de base, et non par leur statut juridique ou leurs modalités d’intervention (individuel/collectif).

  2. www.pkv.de/themen/krankenversicherung/so-funktioniert-die-pkv/wer-kann-sich-privat-versichern