L’ascension équivoque des complémentaires

Seconde hybridation, assez unique cette fois, le système d’assurance-maladie française institue une dualité du financement du soin en combinant, sur les mêmes prestations de santé, l’assurance-maladie obligatoire (AMO) et les assurances maladie complémentaires (AMC), souscrites individuellement ou mises en place dans l’entreprise, à quoi il faut préciser que les ménages sont le dernier « financeur » (le fameux « reste à charge »).

S’il existe dans tous les pays des assureurs privés, ils ne cofinancent généralement pas le panier de soins du régime de base ou alors très marginalement. Il y a donc bien une « exception culturelle » française en matière de financement de la santé.


Grandissante, cette intervention a pris une telle importance qu’elle en est devenue sujette à polémique. Il est vrai que, sur le plan économique, le marché des AMC a fortement cru et son cadre d’exercice a connu de profondes évolutions ces dernières années. De ses caractéristiques, les spécialistes ont tiré des conclusions globalement peu flatteuses pour un secteur jugé couteux et générateur d’inégalités croissantes. Au demeurant, cette insatisfaction sur la place que les AMC occupent dans le système fait l’unanimité y compris du côté des assureurs1 quoique pour des raisons fort différentes.

L’impossible gestion du risque

Les AMC se vivent impuissants à gérer le risque qu’ils financent car aucun des moyens ordinairement à la disposition des assureurs n’est à leur portée en matière de santé. La gestion du risque suppose que l’assureur puisse intervenir sur la fréquence de survenance des « sinistres » mais également sur leur coût. Or, en matière de santé, les assureurs ne le peuvent que très marginalement en matière de coût (négociations des tarifs d’équipement optique par exemple) et pas du tout en termes de survenance (action balbutiante en matière de prévention). Entre assureurs également la discorde est de mise : les mutuelles en particulier dénoncent l’alignement des contraintes en matière de solvabilité sur l’assurance commerciale privée dans un cadre européen unique. Mais elles rejettent tout autant la segmentation des populations introduite par la généralisation des AMC aux salariés, qui brise la solidarité et une inflation réglementaire qui déstabilise le secteur… À croire que la contestation des ambitions de l’AMC est un point partagé entre tous les commentateurs.

Un débat absent

Mais à vrai dire, ce qui étonne lorsque l’on questionne l’intervention des AMC dans son principe et ses effets, c’est de constater le peu d’audience que le sujet recueille dans le débat public. En 2016, la santé est une des quatre grandes préoccupations des Français avec le chômage, la menace terroriste (plutôt conjoncturelle) et la pauvreté2,devant la délinquance, le racisme et les discriminations ou encore les questions environnementales. Cette tendance est stable depuis 2007. Et, dans les questions de santé, si la maladie et ses conséquences est la première préoccupation, les dépenses et le remboursement des soins sont la seconde3.Pourtant la prudence reste de mise dans le débat public. La ligne de fracture politique sur le sujet n’est pas gauche/droite (François Fillon s’est fait critiqué par son propre camp lorsqu’il a évoqué une privatisation de la« bobologie »), elle porte le plus souvent sur le périmètre d’intervention de l’AMO et, par ricochet, de l’AMC mais rarement sur le principe même des AMC. Toutefois il se dégage peu de vraie conviction sur les réformes de fond et le consensus se fait sur des mesures paramétriques aux effets très discutables (taux de remboursements, franchises).

Une position de place confuse

Le débat n’est guère plus vaillant du côté des intéressés, exception faite de La Mutualité qui mène la stratégie d’influence la plus visible et se pose en interlocuteur global en donnant sa vision sur le financement du système, l’organisation et la mise en œuvre de l’offre de soins, les problématiques de santé publique… Sur leur cœur de métier, les assureurs dénoncent les effets des « mesurettes » précitées sur la hausse des cotisations d’assurance sans amélioration du service rendu, se défendent contre les procès en opacité qui leur sont faits sur la complexité des garanties qu’ils proposent ou réclament encore un accès aux données de santé qui leur permettrait de mieux gérer leur risque. Mais sur le fond, mutuelles, IP et compagnies demeurent sans position commune voire divergent tout à fait sur les moyens d’améliorer le système.

Les propositions des think tanks

C’est peut-être parmi les think tanks qu’on trouvera les éléments les plus originaux. Même s’ils reprennent assez largement des points de vue « partisans » (pro ou anti-AMC) assez classiques, ils avancent çà et là des solutions qui, demain peut-être, traceront l’avenir de l’assurance-maladie obligatoire et complémentaire à la française…

Nbp

  1. Le terme « assureur » ou « entreprise d’assurance » est et sera employé comme terme générique qui renvoie à toutes les formes juridiques d’exercice de l’assurance, qu’elles soient mutuelles, paritaires ou commerciales. Pareillement, dans les développements à suivre, l’expression « assureur privé » sera proscrite car équivoque. Son usage académique désigne souvent les sociétés commerciales d’assurance par opposition aux mutuelles. Cet usage est équivoque puisque son antonyme logique serait assureur public, notion qui ne renvoie à rien de précis (surtout depuis la privatisation des compagnies menée à la fin des années 90). Il est encore impropre du point de vue économique et juridique, les mutuelles étant des assureurs privés tout autant que les institutions de prévoyance et les sociétés commerciales à but lucratif comme Axa ou la CNP, encore appelées « compagnies d’assurance » dans l’usage courant. En assurance santé, il existe une opposition logique entre assureurs lucratifs et non lucratifs, mais pas entre public et privé. Pour finir ces éléments de vocabulaire, le terme Assureur Maladie Complémentaire (AMC) ou encore Organisme Complémentaire d’Assurance-maladie (OCAM) caractérise donc l’objet de l’assurance (la santé) et non la forme d’exercice.
  2. Source« Préoccupations des Français selon le sexe en 2016 », Enquête INSEE,20/01/2017 ; données sur période longue disponibles sur https://www.insee.fr/fr/statistiques/2383052
  3. Source« Baromètre DOMPLUS BVA 2016 sur les préoccupations des Français »,disponible sur http://prioritealapersonne.fr/en-ce-moment/barometre-domplus-2016-presentation/